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L'Amour du monde
EAN13
9782889071258
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
C. F. RAMUZ
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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L'Amour du monde

Zoé

C. F. Ramuz

Indisponible

Autre version disponible

La collection « C. F. Ramuz » Voici une série de volumes afin de rendre
hommage à l’écrivain le plus important de Suisse romande. Parfois considéré à
tort comme un glorificateur du terroir, C. F. Ramuz est avant tout un
inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des
ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair,
comparable à un Picasso. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et
Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés,
cette collection ouvre l’accès à des textes peu connus, mais fait aussi
découvrir autrement les œuvres emblématiques de l’auteur. Préface Roland
Cosandey est historien du cinéma. Il enseigne à Lausanne et à Lucerne.
========= Une ville frileuse au bord du lac, calme et fermée sur elle-même,
malgré le train qui la traverse, signe du monde moderne, et le lac qui lui
donne l’étendue et la beauté, permanence des choses. Petite bourgade passive,
satisfaite dans sa petitesse donc. Mais trois événements simultanés viennent
perturber le cours des choses et ouvrir une brèche. \- Un cinéma s’installe
dans la salle communale. Il offre chaque semaine des films en tout genre, des
documentaires sur les plantes, les animaux, les pays lointains, la vie de
Jésus, des fictions hollywoodiennes, des reconstitutions historiques. Il est
le lieu de la rencontre, qui va s’avérer explosive, entre l’ici et l’ailleurs.
Certains habitants prennent conscience d’eux-mêmes et du monde, s’ouvrent à
l’inconnu grâce au cinéma. \- Un illuminé se prend pour Jésus et se promène en
ville, une branche d’aubépine à la main, habillé de blanc, beau et barbu «
comme sur les images ». Sa présence émeut certains habitants. Il est sans
rapport avec le cinéma. \- Louis Joël rentre, après cinq ans d’absence, d’un
long voyage en mer. Il a fait plusieurs fois le tour du globe. Il incarne les
pays lointains et raconte le monde, les mondes qu’il a vus. Il fait
concurrence au cinéma, qui contrairement à lui, dit le faux. Ses auditeurs
sont fascinés.Les habitants se mettent à mélanger l’ici et l’ailleurs, la
réalité et la fiction du cinéma, les visions bibliques et le concret. Ils
sortent de leur petitesse, vrai et faux s’entremêlent. Des événements
tragiques en seront la conséquence. De l’entrecroisement de tous ces
imaginaires naitront désordre et confusion, dont l’orage qui se prépare à la
fin du livre est l’expression : « L’orage ne voulait toujours pas éclater,
bien que chaque jour, vers midi, le ciel se couvrît entièrement ; alors on
vivait la seconde moitié de la journée sous un couvercle gris qui empêchait
tout mouvement de l’air. Ce n’est pas par le vent que ces bruits ont été
apportés, traversant le ciel au-dessus de nous. Ils sont venus de bien plus
loin qu’on ne peut croire, ayant été d’abord dans les têtes, puis dans les
cœurs, puis s’étant échappés. Il y a eu le monde qui venait ; et ces morceaux
de monde continuellement venaient, comme des migrations d’oiseaux, bougeant un
instant au-dessus des toits, et ils passent, mais déjà d’autres les avaient
remplacés. Et, en même temps, il y avait les bruits réels ; il y avait les
deux espèces de bruit, l’inventée et la pas inventée, mais elles se mélangent.
Les téléphones sont avec leurs notes qui chantent dans les fils et la
télégraphie sans fils vient avec ses messages chantant autrement et sans fils.
L’inventé est entendu, le pas inventé grossi beaucoup de fois. Les trains,
encore un express, les petits trains de banlieue, un rapide, tous les trains ;
et une cloche sonne et de nouveau une cloche sonne. Les bateaux à vapeur
sifflaient rauque dans le même temps qu’ils ébranlaient l’eau jusqu’à la rive
avec leurs roues, et l’ébranlement de l’eau communiquait son mouvement à la
terre sous vos pieds. L’horloge. Une voix. Une toux. Des cris d’enfants. Puis,
de nouveau, des choses qu’on ne savait pas, et c’est de la vie seulement,
c’est la grande vie où on est entré, qui vient à vous, circule, vous tourne
autour, s’en va plus loin, recommence à venir. Et on entend vivre à l’autre
bout de la terre et vivre l’autre bout de la terre, tous ses bouts ; tandis
que les paroles qu’elle vous envoie font de l’ombre au-dessus de vous, font
ces formes au-dessus de vous, ces apparences, ces corps de brume et de nuages
qui se déplacent ; – et on ne sait plus si on voit ou si on entend ; on entend
et on voit tout à la fois. Des odeurs aussi qui passent. Encore un enfant qui
crie, l’enfant se tait.
 L’horloge. Il y a la grande odeur chaude du poisson.
Ça sent la cannelle et les épices ; il y a une odeur de fumée comme quand les
savanes sont en feu. Ça sent les épices et la vanille ; en même temps que
c’est comme tout un continent qui vient dans le ciel, c’est toute l’Asie,
toute l’Afrique, ce nuage noir ; alors on a commencé à avoir peur. On commence
à avoir peur, parce que ça a grandi encore : on est assourdi, on est aveuglé,
– et c’est beau, mais c’est trop grand... (…) Est-ce que l’orage éclatera
avant midi ?... C’est ce que dans la ville, on se demandait aussi. On voyait
les gens sur le pas des portes sortir seulement la tête, tournant la figure
vers en haut, où le ciel était entre les toits comme de la terre mouillée,
comme de la terre après qu’il a plu. (…) La nuit était si noire qu’elle était
comme un tampon de chiffons devant le regard. Par moment, à travers le
vitrage, on voyait toute la nuit se soulever, juste le temps de dire : oh ! et
le port se montrait avec ses deux jetées et les deux phares qui étaient
brusquement éteints, – qui se rallumaient. Un morceau du monde était porté à
votre rencontre ; il était retiré avant qu’on pût le saisir. Un morceau de
monde inconnu, avant qu’on ait eu le temps de le connaître ; un morceau de
monde qu’on aurait voulu aimer et on n’avait pas eu le temps de l’aimer. »
Quand les spectateurs sortent du cinéma, deux mondes s’affrontent très
concrètement, le fictif et le réel : « Ils sortaient de la salle ; ils
continuaient à voir, ils continuaient à voir là derrière. Ils secouaient la
tête inutilement ; ils voyaient toujours les trois croix, celle du milieu, une
de chaque côté. Quelque chose de froid leur tombait alors sur la peau, ils ont
compris qu’il neigeait. » Il y a aussi Thérèse, nouvelle Emma Bovary, qui se
projette en l’ « autre », Pearl White, connue pour ses serials, films à
épisode, dont elle va imiter les scènes de séduction. Ramuz reprendra avec
audace le processus de montage et de caméra pour en faire la description. Le
personnage du pseudo-prophète arpentant la ville représente le surgissement
d’un rêve dans la réalité. Ramuz donne à voir le monde dans sa complexité, sa
singularité, sa mobilité, sa plasticité, sa beauté aussi. Les images sont
chargées de toute l’intensité des paysages intérieurs : « Des hommes étaient
assis sur le mur de l’autre côté duquel était le petit port carré, avec son
eau tellement lisse que c’était comme si on avait découpé un morceau de ciel
avec des ciseaux et qu’on l’avait collé dessus. Il y avait, en arrière des
jetées et en avant du lac bleu sombre, légèrement agité cette fois-là, ce
carré rose, où étaient des nuages blancs, les coques noires de deux ou trois
bateaux à rames. Les hommes, assis sur le mur, fumaient la pipe, les mains
entre leurs genoux, sans faire attention à Louis ni à Suzanne ; il est vrai
que les hommes leur tournaient le dos, et eux ne faisaient aucun bruit.
Suzanne n’avait pas parlé d’abord, lui non plus. Tout à coup, ils ont vu à
côté d’eux que le lac avait changé de couleur, et en même temps ils avaient
atteint le bout du quai, de sorte qu’ils se sont trouvés marcher dans le
sable. C’était la bise qui soufflait, alors il y a eu un lac noir sur lequel
on voyait fuir vers le large les mille petites rides des coups d’air, comme si
on y avait laissé traîner le bas d’un châle à longues franges. Quand la bise
souffle, les vagues sont pour l’autre rive ; ici, c’est seulement le tout
premier commencement des vagues ; c’est seulement comme si une main passait
sur les cordes d’un instrument. Et, à cette place, tout à coup, n’ayant pas
parlé jusqu’alors, à cette place : « Écoutez, monsieur Louis... » Puis : « Je
voulais vous dire, peut-êt...
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