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Le singe vient réclamer son crâne, roman
EAN13
9782864325772
ISBN
978-2-86432-577-2
Éditeur
Verdier
Date de publication
Collection
Verdier poche
Nombre de pages
420
Dimensions
17,7 x 10,7 x 2,1 cm
Poids
250 g
Langue
français
Langue d'origine
russe
Code dewey
850
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Le singe vient réclamer son crâne

roman

De

Traduit par

Préface de

Verdier

Verdier poche

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« J’ai commencé à écrire ce roman à l’automne de l’année 1943, sur un lit d’hôpital, n’ayant en ma possession qu’un unique cahier d’écolier dont m’avait fait cadeau le médecin… » L’auteur de ces lignes, Iouri Dombrovski, écrivain, historien anthropologue, archéologue, poète, juif, tzigane, russe et polonais a trente-six ans. Il sort de quatre ans de camp sibérien.

Ce roman, son premier texte achevé, déjoue toutes les attentes. Car en pleine guerre patriotique, au fond du Kazakhstan, il invente un pays ressemblant à une France possible que les nazis occupent, il invente une famille ordinaire où des humanistes résistent, d’autres trahissent, il invente des officiers nazis falsifiant des fossiles pour rester crédibles, il invente un monde redevenant primate. Il invente tout. Mais, en 1949, son roman sera qualifié de « cosmopolite fasciste », et son auteur renvoyé pour dix ans en Sibérie. À son retour, les revenants des camps sont des hommes en trop, qui n’auraient jamais dû réapparaître. Alors, en 58, il reprend son roman et se remet à inventer. Il invente un prologue, une Europe de guerre froide où l’anticommunisme est militant, il invente que d’anciens collaborateurs reviennent fonder des journaux de gauche. Et que d’anciens tortionnaires resurgissent, en ville, et se promènent dans les rues comme s’ils n’étaient jamais partis…

Ce livre tient du météorite, du silex et de la Pierre de Rosette du futur. Enquête, roman policier, histoire que l’on s’invente en marchant, métaphore baroque, conte philosophique où l’énigme n’appartient à aucun sphinx car elle a éclaté en fragments qui ne s’assemblent plus les uns aux autres, ce livre s’obstine à déjouer toutes les attentes. Digressions en forme de sous-bois, où la réplique semble obéir à des lois hors texte, dont il manque toujours un élément ; récit qui avance de révélations en malentendus, où soudain, un détail infime – un oiseau qui frémit dans une cage, ou un écritoire posé sur la table – occupe tout l’espace. Écriture de l’épithète, où un regard n’est pas un regard, mais un regard perçant ou menaçant ou aveugle ou furtif. Et pourquoi est-il soudain aveugle, alors qu’il y a trois secondes il était furtif, et qu’il suffirait de cligner des yeux une seule fois pour le voir menaçant ? À quelle logique obéit ce mot qui devient frappé d’inexistence s’il n’est pas qualifié ? Écriture tumultueuse où le lecteur se débat avec ce qui n’est pas dit, trop dit ou dit à demi. Car il faut impérativement comprendre et vite dans quelle intelligence des choses a basculé ce qui paraissait éternellement familier et qui soudain devient méconnaissable. Comme dans un jeu dont le joueur qui vous fait face a sans prévenir inversé les règles. L’intelligence humaine peut devenir soudain son propre cancer. « Il y a eu avant nous bien d’autres mondes de la nuit. » Celui d’Alma-Ata, entre deux arrestations ou celui d’une petite ville qui pourrait être française, et qui se trouve soudainement occupée.

En 1943, en URSS, inventer une Allemagne nazie et un pays fantôme aurait pu signifier écrire un roman dans la langue d’Ésope : parler de l’Allemagne pour en sourdine parler de l’URSS. Or jamais le zek Dombrovski ne joue à ce jeu. Quand il parle, ce n’est jamais en sourdine. Quand il parle d’une chose, il la nomme, la désigne, et lui lance au besoin un encrier à la tête. Le singe qui vient réclamer son crâne le fait sans ambiguïté à l’intérieur d’une pensée – le fascisme – où existent des races supérieures et des races inférieures, qui a pour sigle une croix gammée et qui extermine, au nom de ses principes, les subalternes, les inutiles. Dombrovski, dont l’écriture visionnaire figure parmi celles qui ont le plus profondément interrogé la pensée totalitaire, ne joue jamais au jeu de l’amalgame. Ceux qui le pratiquent, c’est ceux qui, lisant le livre en 1949, écrivent « ce roman est un roman fasciste » et qui, l’écrivant, condamnent l’auteur à dix ans de camp soviétique. Ceux qui installent la confusion, ce sont eux, en aucun cas l’auteur de ces dernières lignes de La Faculté de l’inutile : « Le soleil déclinait, le peintre pressait l’allure. Il portait béret couleur de feu, pantalon bleu à passepoil doré, cape verte à rubans, et un tambourin à broderies cendre et flamme pendait à sa hanche. Il ne se vêtait de la sorte ni pour autrui ni pour soi, mais pour Mercure, pour Mars, pour le Cosmos […]. Et les sages Martiens, qui nous observent par instruments ultra-sensibles, se demandaient comment pareil miracle de lumière pouvait jaillir d’un incolore magma d’humanité. Seuls les plus doctes savaient que ce miracle s’appelle le rêve, phénomène lumineux qui atteint son maximum d’intensité lorsque la terre dans son mouvement planétaire entre dans la zone d’ombre du Cancer et du Scorpion, et que la réalité devient intolérable parmi ces émanations maléfiques. »

Parabole de cette écriture flamboyante que Iouri Ossipovitch Dombrovski arracha à la nuit – lui que dans le camp on appelait Don Quichotte, parce qu’il avait des bras immenses en ailes de moulin. Roman policier, politique fiction, conte philosophique, métaphore superbement baroque, ce roman ne ressemble à aucun autre. Il ressemble à son auteur qui deviendra l’écrivain le plus visionnaire, peut-être , du monde totalitaire.

Hélène Châtelain
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