Conseils de lecture
Paul Grappe et Louise Landy se sont aimés dans la Paris ouvrier de la Belle époque. Semblables à bien d’autres Parisiens, ils étaient issus de familles populaires, fraîchement immigrés de la capitale.
Ça commence comme ça, comme le livre de Danièle Voldman et Fabrice Virgili, la Garçonne et l’assassin. Une histoire sans histoire si la Grande guerre n’était pas passée par là. L’histoire de Paul et Louise exhumée des archives judiciaires c’est un parcours de vie, un fait divers à succès, un scénario idéal avec en guise de décor la France des années Folles. Pour certains ces années sont vivantes et flamboyantes, pour d’autres la décadence contamine l’ordre social, la famille, la France. Joséphine Baker et Rudolf Valentino prennent la pose, les garçonnes sautent en parachute, l’homosexualité et la bonne humeur sont à la mode, avec leurs cheveux et leurs jupes raccourcis des femmes sourient aux photographes, tout comme les hommes qui ont abandonné leurs barbes à la décennie précédente.
Le Paris des années folles c’est celui de Paul et Louise, l’arrière-plan d’une histoire d’amour qui finit mal.
C'est ainsi que commence la drôle d'aventure qui fait d'un livre d'historiens, un document radiophonique dans l'émission historique emblématique de France-Culture, La fabrique de l'histoire, et puis, l'histoire ne tombant pas dans l'oreille d'une sourde, une excellente, mais vraiment excellente, bande-dessinée : Mauvais genre. Après Du côté de chez Swann, la fin d'année est riche en romans graphiques de qualité. Mauvais genre s'engage sur les chemins troubles qu'arpente le récent Prix Goncourt, les traumatismes de la guerre et leurs conséquences plus ou moins déviantes. Au cynisme bouffon du livre de Lemaître, Chloé Cruchaudet préfère la chronique de mœurs. Une chronique d'une écriture extrêmement maîtrisée, sans jugement moral. Une grande BD ADULTE.
Ne reculant devant rien je suis allé au Bristol, rue du Faubourg Saint-Honoré dans cet antre du sarkozysme afin de m'imprégner des nourritures terrestres de l'ennemi, point pour goûter les macaronis farcis à la truffe accordés au palais de l'ancien chanoine d'honneur de Saint-Jean de Latran, encore moins à l'invitation de Lui, président de la République, parce que depuis le 2 mai 2012 et le Moi, président de la République n°3, c'est fini, plus de collecte de fonds partisane dans un quelconque hôtel parisien, macaroni ou allemand ; mais dans l'intérêt, tout gonzo qu'il soit, de déguster les pâtisseries créées par le chef pâtissier Laurent Jeannin et dont ce livre rend compte des secrets, des tours de mains avec des photos tellement belles, que tous ces talents créatifs te fileraient la nausée. Donc, gavé par les tapas 3 étoiles d'Eric Frechon, je n'ai pas pu résisté à la myriade de petits gâteaux et sorbets qui suivit. Pique à sceau parmi les piques-assiettes, dérivant de plateau en plateau portés par des extras grassement rémunérés (comme dirait avec une fierté vulgaire une mère en parlant de son fils qui vient de recevoir une première paye, que dis-je un premier cachet), nourri de la main gauche swinguant sur l'argent d'une bouchée sucrée l'autre, abreuvé de la main droite remplaçant nonchalamment un verre vide de Champagne par un autre plein du même, j'ai divagué au devant du jardin français où, toutefois, je n'ai pas dégueulé (le côté petit-bourgeois qui me vient de ma mère, sans doute) : comme quoi quand c'est bon c'est bon ! Ou comme disait, au cinéma, un personnage créé par la bande d'anars de droite du lycée Pasteur de Neuilly avant de sombrer dans le nanar du même acabit : « C'est fin, c'est très fin, ça se mange sans faim ! »
Quand au milieu des années 2000, Raphaël Imbert, son saxophone et sa petite famille ont débarqué à Oraison, commençait la longue recherche qui devait aboutir au livre qui sort aujourd'hui. Entre les sorties de disques (et quelle discographie en si peu d'années), vous avez eu le privilège d'avoir, à la librairie, de fréquents comptes rendus de cette
recherche : Albert Ayler, John Coltrane, le spirituel dans le jazz, la franc-maçonnerie dans le Jazz.
L'aboutissement de cette recherche est donc ce livre dont l'histoire de la parution est un vrai suspens hitchcockien.
Edouard et Albert, les deux héros du dernier Goncourt Au revoir, là haut, font irrésistiblement penser aux Pieds Nickelés, la célèbre BD dont la parution en 1908, précéda de quelques années seulement les aventures dont il est question ici, durant la Grande Guerre. Ceux qui aiment les histoires bien ficelées vont se régaler dans ce qui est autant un vrai délire qu’une savante construction. Il est vrai que l’auteur n’en est pas à ses débuts et a montré bien avant ce livre, sa maîtrise des scénarios de romans policiers. Aussi, les rebondissements ne manquent-ils pas, depuis l’ensevelissement initial d’Albert dans ce gigantesque trou d’obus, à la cote 113, jusqu’à l’envol final d’Edouard, ailes en plumes collées sur le dos, aux portes de l’hôtel Lutétia, à Paris. Le rythme du récit reste assez soutenu pour tenir le lecteur en haleine durant ses 567 pages, avec cette minutieuse mise au point d’une arnaque qui excite l’un, le poilu à la gueule cassée, et terrorise l’autre, son sauveur devenu son ami et complice d’infortune.
Mais c’est aussi là que le bât blesse… La grande fresque d’une tragédie d’après-guerre (le sort que subirent les rescapés à leur retour, parfois pire que la guerre elle-même), est recouverte par cette BD foisonnante où le comique le dispute sans cesse à l’horreur. Ca n’a plus figure humaine, pas plus qu’Albert qui a perdu la mâchoire inférieure et finit par porter des masques dérisoires, à la réalisation desquels contribue la petite fille de la concierge, nullement impressionnée... L’incroyable de la situation finit par emporter la crédibilité des héros, sur lesquels d’ailleurs, l’auteur porte toujours un regard fort distancié. L’amer « ah Dieu, que la guerre est jolie ! », et ses accents sarcastiques, fait place à « quelle est jolie l’arnaque ! » : on peut penser qu’on y perd un peu…
François Longchamp
Après une parabole glaciale sur la montée du totalitarisme, le second roman de Stéphane Velut était attendu avec un mélange de curiosité et d’appréhension. Comment dépasser l’insoutenable tension de Cadence dont la prose impeccablement rythmée conduisait le lecteur tout au long d’une montée dans une tranquille horreur, l’histoire de cette petite fille sadiquement reconstruite, encore vivante, en poupée de cuir, de ressorts et d’acier ? Changeant radicalement de sujet et de style avec Festival, Stéphane Velut ne déçoit pas, mais intrigue…
Comme un avertissement, l’exergue choisie emprunte au Voyage au bout de la nuit de Ferdinand Céline : « Les riches n’ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer ». Nous sommes prévenus, les personnages que nous allons rencontrer empruntent plus au grotesque qu’au pseudo raffinement des beaux quartiers, et le style délibérément choisi, plus au parler des faubourgs qu’à la langue de Molière. Et pourtant, passée les premières impressions déstabilisantes, on se prend à s’intéresser à ces personnages gouailleurs, à leurs comportements qu’épouse un style aussi heurté (désarticulé ?) que leur survêt vieil orange et leurs lunettes irisées de cycliste, limite vulgaire, à leur pauvre histoire dont la banalité finit par devenir émouvante.
Flink « a l’air d’un con », mais l’auteur, jamais très loin, nuance : « vite dit » ! Et sa pauvre mère, qui d’entrée l’exhorte sans y croire : « Flink il faudrait pas te foutre dans une histoire de meurtre »… Sûr qu’il va s’y foutre, tout en lui lâchant « bougonne pas c’est le grand jour, ce soir c’est la surprise »…un festival !
D’ailleurs on y est au Festival, celui de Cannes, mais pas sur la Croisette, au camping de la Muette… Et si Flink, toujours lui, rêve de voir un jour Hélène sa copine « poser son cul rond et élastique sur le siège en cuir noir, maroquin doux pleine fleur d’une Triumph spitfire 1963 rutilante », mais « on n’en est pas là », c’est bien sur son scooter pourri qu’il la fait monter, sentant « appuyés contre lui, la rondeur et le poids de ses seins ».
On devine déjà qu’on ne part pas pour le casse du siècle, qu’on n’aura pas droit à un plan à la Spaggiari… Qu’est-ce qui fait alors qu’on ne laisse pas tomber, qu’on se laisse même prendre peu à peu à cette pauvre histoire menée par de pauvres bougres dans leur foutue caravane, posée au milieu des choux et des poireaux, et dont l’exiguïté ne perd pas de se voir tout entier dans un miroir ?
Le regard de l’auteur ! Un regard que traduit un style fort ou tremblé, tout d’audace et de retenue, d’impudeur et de tendresse. Un regard tendrement ironique autant que séduit par cette vie brute et obstinée, celle qui se dégage de ces vies minuscules portées par des certitudes assénées tranquillement, des rêves aussi triviaux qu’épiques, et qui force sinon notre admiration du moins notre sympathie. Et qui nous tient en haleine jusqu’au bout du roman, même si nous savons dès les premières pages, que ça va mal finir…C’est à nous qu’Hellène, Meert et Flink « expliquent tout ça, les choses de la vraie vie » (pour reprendre leurs mots). Et c’est en cela que la tentative de Stéphane Velut nous atteint, nous touche et peut-être nous blesse…
François Longchamp.