À LA PARESSEUSE
Si vous avez la nostalgie des voyages et d’un monde sans Covid, ce livre délicieux est fait pour vous.
Si L’Italie vous manque, si vous doutez de la revoir un jour telle que vous l’aimez, alors Henri Calet sera votre guide. Un guide facétieux, vagabond mélancolique qui vous entraînera des canaux de Venise aux coupe-gorges de Rome en passant par un congrès sur les gaz combustibles à Padoue. Un antiguide plutôt, qui dédaigne les itinéraires fléchés et préfère les trésors secrets aux musées, les gargottes aux restaurants étoilés et les Vespas aux limousines. L’Italie à la paresseuse est one flanerie la tête en l’air et les pieds dans une marelle, une escapade rêveuse, sans autre but que le hasard. Un voyage en train, une balade à la cool, qui dédaigne guides touristiques et circuits obligés, et se laisse porter au gré des rencontres et des lubies.
Imaginez l’Italie des années cinquante. La guerre est finie, la Dolce Vita n’est pas loin. Le tourisme n’est pas encore une offense à la planète, les croisiéristes et leurs monstres aquatiques n’ont pas vu le jour ; Trip Advisor non plus, qui est au voyage ce que Carrefour est à la gastronomie. Cette randonnée paresseuse a le charme des films en noir et blanc, l’Italie y est décrite à petites touches malicieuses et Henri Calet rappelle les personnages lunaires de Dino Risi ou Monicelli. Invité à une conférence sur le méthane, sujet auquel il n’entend rien et qu’il expédiera à sa manière fantaisiste, il retrouve un ami, tout aussi farfelu que lui même, un ami ombrageux « les poches toujours bourrées de journaux, la moustache inculte, également hirsute où s’accrochent parfois les mots ». Dans le train vers Rome, où ils verront plus de chiens que de toiles de maître, un garde les prend pour des députés. L’ami « bien qu’il fût en chaussettes répond avec autorité qu’ils sont deux journalistes revenant d’un congrès international ». Le garde les laisse en paix et notre auteur conclut : on a de la considération pour les journalistes en Italie.
Il quittera Rome, un soir à l’heure des regrets, emportant trois presse-citrons de nylon et leurs bouchons verseurs. Un homme dans le couloir fait le signe de croix et Calet retrouve Paris, fatigué par l’Italie, persuadé que les voyages sont inutiles, vu qu’on se déplace toujours toujours avec soi. Une bien jolie consolation en ces temps de pandémie. « Oh ne plus s’avoir constamment dans les pattes » soupire-t-il, comme un pied de nez aux auteurs contemporains fascinés par leur ego.
On l’aura compris. Peu importe le Pont des Soupirs et les belles Italiennes qu’il ne verra pas, c’est l’écriture précise et délicate, qui enchante. Henri Calet, il faut dire, a le sens de la formule : il est notamment l’auteur de cette phrase, reprise dans d’innombrables épitaphes et quelques chansons : « ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Dans sa vie courte et mouvementée, il a écrit vongt huit récits et romans, les uns carrément sombres, les autres guillerets, tous exquis. Un auteur quelque peu oublié, mais vénéré par un cercle de fans dont, on en prend le pari, vous serez bientôt.
Béatrice Bantman
L’Italie à la Paresseuse. Le Dilettante. 186 pages.